Nous sommes mercredi dernier. Je pars pour deux jours dans les montagnes, les mêmes montagnes où j’avais surpris un élan il y a quelques semaines de cela. Je veux revoir le grand cervidé mais je termine le premier jour complètement bredouille. J’ai parcouru la zone en tous sens : pas âme animale qui vive. Le fort vent qui souffle aujourd’hui a peut-être mis tout le monde aux abris. Il est 14h30 quand j’installe ma tente car le soleil se couche dans une heure et restera caché pour les dix-huit prochaines heures! On approche du solstice et à cette latitude, les journées sont courtes.
Le lendemain, je pars pour la forêt. Les bécasses continuent de s’envoler à mes pieds. Malgré toute mon attention, impossible d’en trouver une posée. Alors que je joue les équilibristes sur une pente gorgée d’eau, entre rochers, tourbe et touradons, je lève les yeux et vois un grand rapace nocturne s’envoler dos à moi. Je le suis autant que je peux jusqu’à le perdre dans l’enchevêtrement des troncs et des branches. Mon imagination s’envole de suite. De cette taille, à cette saison, dans cette région, je me prends à rêver de grandes chouettes nordiques! Mais il faut que je la retrouve pour être sûr. Je ne sais pas jusqu’où elle est partie, si elle s’est posée, à quel point elle est craintive, et la forêt est vaste. Je me décide cependant à chercher cette aiguille dans la botte de foin. Quelques pas, pause jumelles, quelques, pause, jumelles, quelques pas… Rien, rien, rien…. Quelques pas… Du coin de l’œil, une masse contre un tronc sur fond de ciel. Elle est là, à dix mètres de moi. Pas de grande chouette nordique mais une Chouette hulotte! Une des chouettes les plus nocturnes qui soit, posée ici en plein jour, sans qu’elle ne me prête la moindre attention.
Je recule doucement, m’installe sur un rocher, sort la longue-vue et commence immédiatement un croquis. Mais elle semble rester. L’occasion est trop belle, je commence une aquarelle. Alors que je peins, la chouette lève soudainement la tête et suit très attentivement quelque chose dans le ciel. Je suis son regard pour tomber sur un Pygargue planant haut perché dans les nuages. Merci la hulotte ! Petite à petit ma peinture prend forme. Ouf, ça marche! Rien de tel qu’une observation sensationnelle qu’on arrive à retranscrire par des moyens aussi simples qu’un crayon et des pinceaux.
Alors que je termine la peinture, voilà qu’elle tourne à nouveau la tête mais vers le fond de la forêt cette fois-ci. La tête tourne petit à petit. Elle suit quelque chose. Et voilà qu’à vingt mètres d’elle, à l’opposé de ma direction, un randonneur passe. On est en fait à côté d’un sentier de randonnée local assez populaire ! Occupé à marcher il ne me voit pas, et encore moins la chouette. Forcément, je repense à ma journée bredouille d’hier. A côté de combien de chouettes dans ce genre suis-je passé sans les voir ? Combien de bécasses ? Combien d’animaux m’ont observé passer, eux les observateurs, moi l’arroseur arrosé ?
Dans ces régions, à cette époque de l’année, la nature n’a rien d’exubérant. C’est même tout l’inverse. Elle est austère, sobre, silencieuse, immobile. Le naturaliste peut ici vite se désespérer quand il n’entend pas le moindre cris d’oiseau, qu’il ne surprend pas un seul animal. Mais pourtant, cette Chouette, ces bécasses, ces chevreuils sont bels et bien là. Il faut accepter l’effort et la persévérance que cela demande de les trouver. Il faut accepter d’être beaucoup plus souvent l’observé que l’observateur !
Adrien