Le timing était pourtant parfait.
Le printemps était là, puissant de tout ce renouveau. Une neige encore épaisse fondait à vue d’œil. Les oiseaux migrateurs venaient d’arriver, un concert de Pic noirs, épeiches, de Grives mauvis et draines. La débâcle avait libéré la rivière des glaces, laissant place aux Loutres, aux Garrots et Harles bièvres. Trois jours frénétiques d’un soleil solide, avec même les premiers Morios. Les quelques centimètres de neige annoncés n’allait en rien altérer la parade des Grands tétras que j’étais venu chercher.
Mais au premier jour d’expédition, en route vers les montagnes, le vent du nord se lève, les températures chutent. Ces quelques flocons deviennent blizzard.
Les animaux commencent à lutter,
je commence à improviser.
Ce voyage printanier se transforme en expédition hivernale. La neige s’accumule vite, me tient chaud en recouvrant mon affût, mais pèse lourd sur le paysage et ses habitants. Les pattes interminables de l’Élan y laissent des marques profondes, jusqu’au ventre. Mes traces forment un réseau de sentiers à la neige tassée que le lynx et le renard empruntent pour ne pas s’enfoncer. L’épuisement guette les vivants. Je cherche les Grands tétras, des signes de leur dortoir, de leur danse, de leur chant. Mais je me confronte au syndrome de la page blanche. Petit à petit la neige efface tout, et plus rien ne vient s’y inscrire. Les tétras et gélinottes, ces quelques locaux qui n’ont pas fuit à la façon des migrateurs pourtant tout juste arrivés, restent perchés et mènent désormais une vie arboricole. Je suis seul à fouler ce sol.
Tout s’est tu.
Tout n’est que silence et absence.
L’hiver a finalement vaincu.
Les jours passent, l’attente s’étire, la neige s’épaissit. Un plafond bas déverse des cascades de neige. On entend les flocons tombés… et un roucoulement, lointain, reculé, perdu. Seul au sommet d’une forêt, un Tétras lyre chante contre toute attente, contre toute raison, contre toute saison. Il croit encore au printemps, mais personne n’est là pour l’écouter.
Au moins vingt-cinq années se sont écoulées depuis le dernier retour de neige de cette ampleur. Cet oiseau ne l’a pas connu mais quelque chose lui fait bel et bien sentir que le printemps n’a pas disparu, qu’il finira par percer. Comme lui, je crois encore au printemps et je patiente, je persiste.
Il aura fallu deux semaines avant de voir revenir le soleil, les pics, les grives. Deux semaines pour voir la neige fondre à nouveau et entendre le Grand tétras chanter. Deux semaines invisibles, un faux départ. Le silence intense d’un hiver recommencé. L’impatience d’une saison.
Adrien