Je suis parti pour explorer des plateaux qui se trouvent à quelques heures de route de la maison, avec le secret espoir d’y trouver des rennes. Inutile de maintenir le suspens, je ne les ai pas vu. Par contre, j’y ai trouvé des airs subtiles de l’arctique. Un sentiment qui tient à peu mais dont la différence est étonnamment visible à seulement quelques dizaines de kilomètres d’écart.
La végétation d’abord. Les Camarines, les Ronces des tourbières et les Azalées règnent en maîtresses des lieux et sont accompagnées d’une abondance de lichens, de Bouleaux et de Saules nains. Je suis bel et bien dans la toundra. Ce simple mot de « toundra » et ces quelques espèces de plantes suffisent à transporter l’imaginaire, à réveiller les souvenirs et à faire rêver de tant d’observations possibles. Puis vient le chant du Pluvier doré pour vous tirer de votre rêverie et vous y replonger de plus belle. Un chant doux, mélancolique, persistant qui accompagne inlassablement ces paysages.
J’arpente les dénivelés, d’abord dans le brouillard, puis sous la pluie et enfin sous un soleil de plomb. Les sommets s’enchaînent, les vallées se succèdent. Nous sommes fin-juin mais le paysage reste zébré de neige et je me retrouve souvent à randonner sur d’immenses névés. Je me dirige vers le nord. Oh, pas bien vite, à la vitesse que mes jambes et mon sac-à-dos m’autorisent mais c’est comme si je percevais le changement de latitude dans d’infimes indices, presque d’une vallée à l’autre.
Un Bécasseau violet en plumage nuptial s’envole et se refuse à partir trop loin, son nid est sûrement proche. Le cris d’un Bruant des neiges au milieu de ceux des Pipits farlouses et des traquets. Des lemmings, d’abord un jeune, puis un adulte et encore quelques autres. Le sol est labouré des tunnels qu’ils ont entretenus sous l’épaisseur de neige durant l’hiver. Une femelle de Faucon émerillon qui traverse au loin, à peine visible à l’œil nu.
Mes journées restent malgré tout pauvres de faune. C’est le soir, je passe un col au-delà duquel un vent de face vient me claquer au visage. Devant moins un ciel lourd que traversent les rayons du soleil. Au même instant, un cri aigu retentit tout proche dans mon dos. Je me retourne pour retrouver face à face avec deux rapaces en contre-jour fonçant dans ma direction. En arrière-plan, la Buse pattue qui vient d’alarmer à cause de la présence devant elle d’une immense rapace. Je saute sur mes jumelles et alors que je m’attends à y voir un Pygargue je me retrouve nez-à-nez avec un Aigle royal, un jeune de l’année dernière. Luttant contre le vent de face, il traverse comme au ralenti à dix mètres de moi. Je lâche les jumelles pour savourer une observation à l’oeil nu. Je peux voir son œil cerclé de jaune me jeter des coups d’œil, ses rémiges se tordre dans le vent, ses ailes qui brassent lentement, amplement. Quelques dizaines de secondes qui me semblent de longues minutes. Il vire sur sa droite, ses ailes prennent le vent qui le pousse derrière la crète et le fait disparaître.
Les jours suivants le ciel bleu domine, le soleil tape et je me retrouve pour ma dernière nuit sur un des points culminants qui m’entourent. J’installe mon tarp et mon duvet et passe le reste de la longue soirée à observer les lumières changer, les ombres s’étirer, le calme s’installer. Sérénité d’avoir le temps de contempler, un temps qui s’écoule lentement.
Adossé à mon sac-à-dos, je fais de petites études du paysage à l’aquarelle. Trouver la bonne valeur sans exagérer le contraste, la bonne couleur en cherchant la teinte exacte. Et alors, comme souvent, alors que c’est sous mes yeux et qu’il ne tient qu’à moi de regarder, je découvre l’ampleur des nuances de ces ombres. A première vue toutes les mêmes, « grises » pour faire simple, certaines tirent sur le vert, d’autres l’ocre, d’autres encore davantage vers le bleu. Infimes nuances qui passent inaperçues en regardant le paysage, mais qui lorsqu’elle sont ignorées dans la peinture, font que ça ne tombe pas juste, que quelque chose cloche. On ne remarque pas leur présence dans le paysage, mais leur absence nous choque sur la peinture. Comme toujours, peindre d’observation est une école qui force à observer et non seulement à voir. La couleur des ombres s’y révèle et avec elle quelques secrets de ce qui fait la beauté des paysages à nos yeux.
Le soleil commence à toucher l’horizon. Les montagnes lointaines entament son disque progressivement jusqu’à ce qu’au dernier moment, les tous derniers rayons se teintent de vert et de bleu dans un dernier flash timide qui signale le début de cette nuit sans obscurité.
Adrien
» La couleur des ombres «
Aquarelle d’après aquarelle de terrain
23 x 31 cm
23 x 31 cm
Disponible à l’achat