Ça, c’est un côté de la Norvège que j’adore : on prend le bateau comme on prend le bus et en une heure-et-demi, on passe du pas de sa porte à un petit coin perdu au fond d’un fjord, sans avoir eu à prendre sa voiture. Le bateau vous dépose au pied des montagnes, sur un quai minuscule, sans route, ni âme qui vive. C’est comme cela que je suis parti passer cinq jours en autonomie dans les montagnes, entre neige et mer.
En ces premiers jours de printemps, je voulais voir ce qu’il se passe en altitude. Mais après une heure avec de la neige molle jusqu’au genoux j’ai planté la tente, pour le lendemain retourner dans la vallée. Deux salles, deux ambiances! Installé dans une pinède surplombant le fjord, sous ce ciel bleu, j’ai l’impression d’être dans les calanques méditerranéennes.
Comme d’habitude, à cette époque de l’année, l’altitude est une véritable machine à voyager dans le temps. Tandis que le silence et l’immobilité règnent en maîtres sur les hauteurs, l’aval semble d’une folle exubérance. Le chant du Pic cendré vous tire du sommeil tout en douceur, c’est un délice. Puis les Grives, les Troglodytes et les Pinsons des arbres chantent à tût tête, tandis que les Mésanges charbonnières viennent en couple à quelques mètres pour vous sommer de partir de leur territoire. En attendant les Sizerins et les Tarins continuent leurs patrouilles hivernales en groupes denses.
Dans l’immobilité d’une chaleur sans vent, sans nuage, un couple de Grands corbeaux savourent leur intimité. Cerclant côte à côte, ils pratiquent leur vol en tandem. Doucement, avec moult précautions, l’un vient se placer au-dessus de l’autre, dans une trajectoire parallèle parfaite. On peut voir les infimes mouvement d’ailes, la mesure dans chaque inflexion de vol. Alors tout proches, ils s’échangent des sons très doux, à peine audibles. Une discussion à voix basses qui ne regarde qu’eux et que le moindre souffle d’air m’aurait empêcher d’entendre. Une brise bouscule légèrement l’équilibre, les sépare, et la chorégraphie recommence.
De mon côté, les pieds bien ancrés sur terre, je me trimballe encore cette agitation du quotidien. Ça saute en un instant de la liste des choses à faire, aux projets à venir, à des souvenirs, une musique, un extrait de livre, de film, des personnes à appeler…etc. Il me faut toujours quelques jours pour que cela se dilue petit à petit dans l’observation et la contemplation, à la façon d’une eau boueuse que seuls le calme et le temps peuvent transformer en eau limpide une fois toutes les particules sédimentées.
Au début, je pensais que c’était une drôle de coïncidence, que mes premières belles observations, mes premiers croquis et aquarelles, n’arrivent en général qu’après le troisième jour. Mais la systématicité du phénomène m’a poussé à admettre que la raison était en moi plus qu’en dehors. Les premiers jours, je cours en tout sens pour explorer, rentabiliser le temps que j’ai ici et maximiser les chances de revenir avec des images. Mais comme toujours, vouloir appliquer son programme à la nature ne marche pas! La même erreur toujours recommencée. Au lieu d’imposer notre fonctionnement au monde, il faut se plier à son rythme, lâcher prise et accepter d’être d’avantage disciple que maître. Alors, on arrête d’être purement cérébral, à tourner en rond dans nos têtes, pour laisser leur place aux sens ; on écoute au lieu d’entendre, on observe au lieu de voir. C’est alors que la magie opère et me voici avec une volée de croquis et d’aquarelles qui me ravissent.
En vous souhaitant à tous un beau printemps. Régalez-vous en, il passe toujours trop vite.
Adrien