Vingt-trois années après son lancement depuis la Terre, la sonde spatiale Voyager 1 atteignit les confins du Système Solaire. Le 14 Février 1990, à six milliards de kilomètres de nous, elle ouvrit une dernière fois ses caméras pour un ultime regard en arrière.
Soixante images, envoyées pixel par pixel à travers l’espace pour être patiemment collectées sur Terre. Sont alors apparues six planètes. Parmi elles, suspendue dans une réflexion du Soleil, un point bleu pâle : la Terre.
Carl Sagan astrophysicien et initiateur de ce projet en fit un poème essentiel. Plus que jamais, aujourd’hui, il nous faut relire ces lignes.
POINT BLEU PALE
Carl Sagan, 1994
« Regardez encore ce petit point. C’est ici. C’est notre foyer. C’est nous. Sur lui se trouvent tous ceux que vous aimez, tous ceux que vous connaissez, tous ceux dont vous avez entendu parler, tous les êtres humains qui aient jamais vécu. Toute la somme de nos joies et de nos souffrances, des milliers de religions aux convictions assurées, d’idéologies et de doctrines économiques, tous les chasseurs et cueilleurs, tous les héros et tous les lâches, tous les créateurs et destructeurs de civilisations, tous les rois et tous les paysans, tous les jeunes couples d’amoureux, tous les pères et mères, tous les enfants pleins d’espoir, les inventeurs et les explorateurs, tous les professeurs de morale, tous les politiciens corrompus, toutes les “superstars”, tous les “guides suprêmes”, tous les saints et pécheurs de l’histoire de notre espèce ont vécu ici, sur ce grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil.
La Terre est une toute petite scène dans une vaste arène cosmique. Songez aux fleuves de sang déversés par tous ces généraux et ces empereurs afin que nimbés de triomphe et de gloire, ils puissent devenir les maîtres temporaires d’une fraction d’un point. Songez aux cruautés sans fin imposées par les habitants d’un recoin de ce pixel sur d’indistincts habitants d’un autre recoin. Comme ils peinent à s’entendre, comme ils sont prompts à entre-tuer, comme leurs haines sont ferventes.
Nos postures, notre propre importance imaginée, l’illusion que nous avons quelque position privilégiée dans l’univers, sont mis en question par ce point de lumière pâle. Notre planète est une infime tache solitaire enveloppée par la grande nuit cosmique. Dans notre obscurité — dans toute cette immensité — il n’y a aucun signe qu’une aide viendra d’ailleurs nous sauver de nous-mêmes.
La Terre est jusqu’à présent le seul monde connu à abriter la vie. Il n’y a nulle part ailleurs, au moins dans un futur proche, vers où notre espèce pourrait migrer. Visiter, oui. S’installer, pas encore. Que vous le vouliez ou non, pour le moment c’est sur Terre que nous prenons position.On a dit que l’astronomie incite à l’humilité et fortifie le caractère. Il n’y a peut-être pas de meilleure démonstration de la folie des idées humaines que cette lointaine image de notre monde minuscule. Pour moi, cela souligne notre responsabilité de cohabiter plus fraternellement les uns avec les autres, et de préserver et chérir le point bleu pâle, la seule maison que nous ayons jamais connue. «
Pour finir, je vous invite vivement à lire le livre éponyme dont est issu ce texte.
Adrien
Aquarelle sur papier et texte manuscrit, 31 x 41 cm.